Une légende du Pays de Lannion (Extraits d’un texte
écrit par Tristan d’Ardenne et publiée en 1951)
Le crépuscule du Roi Arthur |
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Le Roi Arthur qui avait pris son vol en Cambrie (1), gagne le Trégor afin d’y ployer ses ailes.
(1) La Cambrie est l’ancien nom latin du Pays de Galles
dont le drapeau porte dragon rouge
Sous les frondaisons de la forêt de Brocéliande, au pays de Paimpont,
Merlin répète à tous les échos que bien fol est l’enchanteur qui livre à sa mie les secrets de son art…
…
Un soir, gris de la colère de Dieu, les flots ont submergé les cités opulentes.
Ker Ys et tant d’autres orgueilleuses métropoles sont à jamais roulées dans le suaire luctueux (2) du glauque océan.
(2) qui provoque l’affliction, la douleur
La brise d’hiver nous apporte encore la prière plaintive des habitants de ces villes que la mort a frappés dans l’orgie.
La fureur des eaux n’épargna que les sommets des collines de ces capitales englouties, ces témoins douloureux que sont les Triagoz et les Sept-Îles, Tomé et Milio…
Ainsi, par une aube souillée des taches pourpres du sang et du feu, les hordes barbares ont-elles ravagé les royaumes d’Arthur, terrassé ses vaillants Chevaliers de la Table Ronde, ruiné ses châteaux, dispersé ses peuples…
…La grande famille celtique pleure, sur la harpe de ses bardes, le courage infortuné des Héros.
Elle pèse d’un poids bien lourd, dans le cœur du roi Arthur, cette disparition des Chevaliers. Mais là n’est point l’unique blessure qui meurtrit l’âme du prince exilé assis sous le sombre feuillage de Kerduel (3).
(3) Château de Kerduel, en Pleumeur-Bodou
… N’était-ce point ces audacieux guerriers qui, répondant à l’appel de Merlin, avaient entrepris cette quête du Graal (4)
(4) Les Chevaliers de la Table Ronde cherchent le calice utilisé par Jésus-Christ au cours de la Cène et dont Joseph d’Arimathie s’est servi pour recueillir le sang du Christ quand il fut descendu de la Croix.
Mordred, le traître issu de son lignage lui a ravi sa couronne et son épouse Gwenn Arc’hant (Guenièvre).
L’Évêque Quay, chargé de négocier, en Bretagne insulaire, la venue sur le continent de la reine infidèle (et pourtant désirée !) obtient seulement qu’elle ceigne son front du voile des moniales. La chair même du monarque Arthur est labourée des coups qu’il reçut debout face aux ennemis, en ce combat tragique de Carcaradec que l’on appellera plus tard Salisbury.
Et il faut la vertu magique des soins de Morgane, la druidesse de la mystérieuse île d’Aval,
qui recueillit Arthur, son frère, au soir de la bataille, pour que le roi ne succombe pas aux plaies creusant son visage, sa poitrine, ses membres…
Kerduel est devenu le château d’ombre… il ne prête plus l’oreille aux récits de ces aventures fantastiques que menèrent, un an et un jour, à travers les Bretagnes, les Preux de la Table Ronde, au milieu d’invraisemblables enchantements.
Ses futaies ne sont plus le décor gracieux des fastes célébrant les exploits de Héros, des joutes et tournois apaisant leur irrésistible ardeur…
Arthur, seul avec une poignée de compagnons, dont les noms et les titres trop pâles céderont à l’usure des siècles, s’efforce d’oublier sa détresse dans les fatigues de la chasse, qui, maintes fois, l’entraîne par delà le Guindy et le Léguer, hors des limites de son nouveau domaine.
Un clair matin, par les genêts perlés de rosée, il gagne à cheval l’antique cité épiscopale du Yaudet dont le nom s’est déjà inscrit dans la merveilleuse légende.
Arthur atteint Trédrez, puis Saint Michel, fouillant les landes et battant les bois, sans rencontrer un gibier qui vaille les coups d’estoc et de taille de Kalet-voulc’h (8), le fameux glaive, forgé par les Fées sur l’île d’Aval.
(8) autre nom d’Excalibur
Sa marche vaine, il la poursuit jusqu’au Grand Rocher
qui surgit de la falaise pour dominer la Lieue de Grève, tel un guetteur. Et il désespère de réaliser ce jour quelque prouesse, quand un énorme dragon, dont la gueule béante vomit du feu, bondit des ajoncs d’or et des bruyères roses sur la route de Plestin.
Le palefroi royal hennit douloureusement, se cabre, recule, épouvanté par ce saurien ailé, à la dimension d’un taureau de deux ans avec un œil rouge au milieu du front et des écailles vertes autour des épaules…
Arthur n’hésite pas… il glisse au sol, Kalet-voulc’h au poignet…
Qui saurait donc redouter cet invincible roi, Kalet-voulc’h à la main ?
Il s’élance, intrépide, sur le monstrueux saurien.
Le duel gigantesque, mettant aux prises le roi et le dragon dure, sans désemparer, trois jours et autant de nuits.
Arthur frappe d’abord de la pointe et du tranchant de son fer et, sous ses coups redoublés, des gerbes d’étincelles jaillissent des écailles.
Puis il charge ses épaules de blocs de pierre si lourdes qu’il chancelle ; il les élève au-dessus de sa tête, les bras gonflés par l’effort, et les jette sur le reptile de toute l’énergie de ses muscles herculéens.
Enfin, ayant arraché un chêne, il s’en sert comme d’une massue, et les branches se rompent, le tronc se brise…
Pas une égratignure ne marque ce monstre dont la vigueur semble croître avec la violence d’une lutte qui fait trembler la terre…
Les ténèbres se dissipent à l’issue de la troisième nuit de combat.
Arthur, épuisé, gît sur le sol, à la merci de son adversaire.
Mouettes et goélands crient dans le vent leur frayeur.
Près de son ermitage, le noble et pieux chevalier Efflam récite Laudes (5). Au soir de ses épousailles avec la belle Enora, il s’était éloigné de la patrie irlandaise et de la couche nuptiale pour trouver la solitude en Armorique.
(5) Louanges à Dieu.
Efflam entend la plainte lugubre des oiseaux de mer.
Il voit le dragon, griffes tendues et mâchoire ouverte, prêt à déchirer et dévorer un homme inanimé.
L’anachorète (ermite), d’un signe, contraint le saurien à l’inertie.
Il frappe trois fois la roche de son bourdon (bâton de pèlerin) et donne libre cours à une eau fraîche dont il abreuve Arthur qui retrouve force et santé.
Le roi se précipite sur le dragon, lui enfonce son épée dans la gueule si bien que le monstre jette un cri et roule dans la mer, la tête la première.
« …Sur un pilier de l’église saint Jacques de Perros, un sculpteur immortalise la scène :
• à droite, le roi menace désespérément, son Kalet-voulc’h brandi, le dragon qu’il est impuissant à tuer, malgré sa vaillance légendaire,
• à gauche, l’humble bourdon du pieux chevalier irlandais triomphe aisément du reptile ailé. »
Arthur serre dans ses bras son sauveur en qui il reconnaît un cousin aimé. Il se hisse péniblement sur son coursier et, l’âme bien dolente, il prend le chemin du Château de Kerduel….
Bercé par le trot de son palefroi, Arthur songe à ces étranges faits…
Les armées d’Arthur et Mordred s’affrontent près de la rivière Camlan. Mordred est tué par Arthur et celui-ci est grièvement blessé.
Le moment est arrivé pour Arthur de s’endormir dans la dernière des incantations, s’il veut être prêt au réveil annoncé par les bardes.
Le roi ne s’arrête sous la Tour de Kerduel que l’instant de convier ses fidèles à seller leurs coursiers et à galoper à ses côtés vers la baie de Landrellec.
Des hauteurs de Pleumeur-Bodou, l’île d’Aval apparaît semblable à une nef majestueuse sur le point de voguer vers l’Occident, à la quête de la perpétuelle lumière.
Parvenue à Penvern, la chevauchée royale ne s’attarde point, car la mer lui cède le passage et Arthur a grande hâte d’embarquer dans le vaisseau féérique.
Encore un galop par la grève humide et le Prince, suivi de son escorte, rejoint “l‘île aux pommes” (9).
(9) « aval » en breton signifie « pomme »
Entourée de ses huit compagnes, Morgane, la fée des Ondes, au front ceint d’un diadème étincelant de rubis et d’améthystes, se dirige vers son hôte.
Celle qui naquit de la caresse d’un rayon de soleil sur l’embrun irisé d’une vague est toute radieuse sous sa chevelure, couleur de sable, se déroulant dans les plis de sa robe blanche.
Elle n’est pas en cette heure, l’amante jalouse qui entraîne vers les demeures abyssales les hommes séduits par la câlinerie de sa voix.
Ce n’est plus la sœur qui use en faveur de son frère de son pouvoir magique d’épargner à un vivant le baiser glacial de l’Ankou.
Elle est la druidesse hiératique (10) qui accomplit son ultime ministère : ouvrir au roi de légende les portes bleues du pays des rêves celtiques.
(10) raide, figée dans sa majesté.
Morgane tend les mains au vaillant roi : elle donne à Arthur une affectueuse étreinte qui ne se relâchera que dans une succession de siècles…
Depuis lorsque par delà l’horizon orangé s’est enfui le soleil, scintillent au firmament le Chariot et la Harpe d’Arthur.
Et c’est la chasse du roi que nous percevons dans la brise nocturne.
Ne serait-ce point lui qui survole Kerduel sous la forme noire du corbeau.
Pèlerinons pieusement par l’ île d’Aval, ses fougères élégantes, ses ajoncs drus, ses fines bruyères …
Foulons de nos pieds sa terre brune et pauvre, ses rocailles innombrables…
Le grondement des flots étouffe le hululement de la chouette nichée parmi les ruines…
Le vent du large ne tolère pas l’obstacle d’une branche.
Un menhir se dresse.
C’est là qu’un baiser de Morgane enchanta Arthur.
Une antique croix domine un muret de pierres sèches.
A son pied, l’un après l’autre, les derniers compagnons du roi s’y couchèrent.
Et les coursiers fidèles rejoignirent leurs maîtres.
Hommes et chevaux se réunirent dans la tombe, tels qu’ils s’étaient mêlés dans les combats.
Une vapeur s’élève qui nimbe le rocher.
Elle repousse le ciel et la terre et elle aveugle le profane. Un voile magique enveloppe l’île de mystère. Il la soustrait au monde, l’emporte hors des frontières du concret et il la teinte d’irréel.
La féérie reconquiert son temple d’Aval.
Arthur, à la barbe quatorze fois séculaire, sort de son sommeil.
Sa silhouette altière resplendit de l’éclat d’un Tantad (11) au soir du Solstice d’été.
(11) feu de joie
A d’indivisibles horizons, il demande si l’heure n’est point de faire clamer par les bardes l’hymne de gloire et sonner par les cors la chevauchée triomphale des Preux des deux Bretagnes à jamais liées sous la bannière prestigieuse au Dragon Rouge.
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Nous avons adoré cette merveilleuse histoire qui fait ce qu’est
aujourd’hui notre Ile Grande.
A bientôt.
Je me rappel quand j’était môme , de fouilles faites
par des protestants allemand sur l’ile d’aval, je les regardait
faire avec sourire,,????.
Ces fouilles ont plus de sens pour moi aujourdhui grace à ce
recit.
Merci Eric, ce souvenir m’intéresse et je vais essayer d’en savoir plus (ce serait intéressant de savoir ce qu’ils venaient chercher).
En fait, je suis intriguée par ces squelettes découverts sur l’île d’Aval. J’aimerais au moins comprendre d’où ils venaient et surtout ce qui a été décrit en 1878, par Félix Le Dantec, à la société d’Anthropologie de Paris. C’est pourquoi je te suis reconnaissante de me mettre à nouveau sur une piste !