Ce travail de recherche est issu du dossier de Pierre STRNISTE (Professeur d’histoire) -réalisé dans les années 70/80- que sa famille a eu la gentillesse de me confier.
La révolution de 1789 a dépossédé de ses biens la Seigneurie de l’ “Islegrand“.
Pour une bonne partie, les terres cultivées revinrent à leurs exploitants (domaniers, exploitants de convenants ) cependant que les landes et les pâtures devinrent propriété communale.
Terrains
devenus
propriété
communale
Dès la première moitié du XIXème, un fossé se creuse entre la population île-grandaise et la municipalité de Pleumeur-Bodou : Les intérêts de la population pleumeuroise sont totalement différents de ceux de l’île.
1. Qu’arrive-t-il aux terres île-grandaises devenues biens communaux ?
1830
(19 sept.)
Monsieur Le Coz est installé dans ses fonctions de Maire.
1831
(14 mai)
Des problèmes
concernant les
terrains communaux
commencent à se poser.
« … considérant que les sieurs Marc NICOLAS, cultivateur demeurant à Trébeurden, Pierre DANIEL, batelier demeurant à Pleumeur-Bodou et quelques autres individus ont empiété sans aucune autorisation sur les terrains que possède la commune à l’île-Grande, notamment Pierre DANIEL en s’emparant une portion de terrain dans le Dourlin,
Le Conseil municipal présidé par M. J. L. Le COZ est d’avis que la commune soit autorisée à poursuivre les usurpateurs de terrains communaux. »
1835
(9 mai)
Poursuivre
les individus
qui utilisent les
terrains communaux
À la suite de nouvelles usurpations de terrains communaux, le Conseil,
« … considérant qu’il est urgent de forcer les individus qui se sont permis de s’emparer des biens communs à les rendre à leur vrai propriétaire qui est la commune…
Est d’unanimité d’avis d’autoriser Monsieur le Maire J. L. Le COZ à poursuivre indistinctement tout particulier qui se serait rendu coupable de ce délit ».
1836
(7 mars)
La municipalité
a besoin d’argent
pour reconstruire
le Presbytère de Pleumeur…
Le Conseil municipal
« … considérant que la commune possède des biens communaux dans l’île-Grande qui ne profitent qu’aux habitants de l’île, tandis qu’il est de toute justice que la commune entière en jouisse »
Est d’avis
Qu’il soit vendu à l’île-Grande les terrains communaux dont les plans figuratifs sont joints à la présente délibération, pour ces fonds être employés à la reconstruction du Presbytère ».
Et, en 1838…
Grande braderie…
Les terrains suivants furent adjugés :
- N° 11 : Crec’h al Lannic
- N° 31 : Ru Losquet
- N° 85 : Dour Lin
- N° 433 : Notenno Bihan
- N° 485 : Lan Kervoalant
- N° 568 : Lan Kervegan
- N° 601 : An Hervirio Bihan
- N° 708 : Crec’h ar Loët
- N° 784 : An Herve Illio Bihan
Cliquez sur la carte pour l’agrandir
Tous les terrains communaux situés à l’île-Grande sont vendus, à l’exception toutefois d’ «Enez Toul es Stam» et du cimetière.
Le produit de ces ventes fut-il insuffisant pour assurer la reconstruction du presbytère de Pleumeur-Bodou ? Toujours est-il que le Conseil municipal fit encore les démarches nécessaires auprès du gouvernement pour être autorisé à vendre :
1838 (9 mai)
L’île Canton et de l’île brûlée sont vendues.
1839 (7 avril)
L’île “Toul es Stam” est vendue.
2. La colère des île-grandais
Outrés et furieux de voir ce Conseil brader les terrains que la Révolution avait rendus à la communauté,
les île-grandais demandèrent que l’île-Grande fut détachée de Pleumeur-Bodou.
1842
(22 octobre)
Pleumeur a besoin des engrais de l’île
Pleumeur considère que l’île est privée des bienfaits de la religion
Pleumeur accepte d’ériger l’île en succursale de la paroisse
Pleumeur refuse de participer aux frais d’entretien
Pleumeur refuse que l’île-grande devienne une commune
Réponse à cette requête dans la délibération du Conseil municipal
Le Conseil
« … considérant que cette île ainsi que l’île à Canton et l’île brûlée auxquelles elle donne message ont de tous temps fait partie de la commune de Pleumeur-Bodou et lui sont de toute utilité pour ses engrais qu’elle ne peut se procurer ailleurs, s’oppose pour toujours à ce que ces îles soient détachées pour le civil de Pleumeur-Bodou ;
Mais considérant aussi que cette île est souvent privée des bienfaits de la religion, tant par la difficulté qu’elle éprouve à communiquer avec la terre ferme dans les mers hautes que par son éloignement du bourg de Pleumeur-Bodou ;
Considérant les sacrifices que M. Bidau, curé de Lannion se propose de faire en faveur de cette érection future, de doter l’île d’un presbytère avec des dépendances suffisantes pour loger convenablement le desservant qui y serait nommé ;
Considérant d’ailleurs que cette île possède une chapelle et un cimetière capables de contenir sa population ;
Déclare consentir à l’érection de cette île en succursale à la condition expresse que l’entretien du presbytère, de l’église et du cimetière demeure au compte exclusif de la fabrique (1) de cette nouvelle succursale et sans la participation de la commune de Pleumeur-Bodou…
Mais S’OPPOSE POUR TOUJOURS À SON ÉRECTION EN COMMUNE. »
(1) Fabrique : personnes (clercs et laïcs) nommées pour collecter et administre les fonds nécessaires à la construction et à l’entretien des édifices religieux et du mobilier de la paroisse. Les frais d’entretien incombent donc à l’île-Grande !
Ainsi, le Conseil municipal acceptait de se débarrasser des charges que représentaient « les bienfaits de la religion » en proposant l’érection de l’île en succursale.
Pour le civil, l’île restait enchaînée à Pleumeur-Bodou.
Cependant, si le principal empêchement invoqué par la municipalité est de poids, à savoir que le besoin en goémon que les pleumeurois prétendaient ne pouvoir se procurer ailleurs, il est possible que le Conseil n’ait pas exposé, dans sa délibération, toutes les raisons de son « attachement » à l’île-Grande.
Cliquez sur ce lien pour avoir un aperçu de la façon dont la commune était administrée : “Qui administre la commune de Pleumeur-Bodou”
1846
(8 juillet)
Un délit d’initié ??? !!!
« … délibérant sur l’exposé fait par le Sieur Jean-Louis Le Coz l’un des membres du Conseil municipal concernant le terrain communal, par ce dernier acheté dans l’île-Grande consistant dans le n° 85 du plan cadastral, sous le nom de Dourlin.
Il avait cru par erreur que le placître dit “de la Croix” en dépendait, et, fondé sur cette croyance, il aurait concédé au Sieur Louis Durand, tailleur de pierres à l’île-Grande, un terrain pour construire pour une somme de cent francs.
Le dit Le Coz, reconnaissant son erreur, se propose de verser entre les mains de M. Le Maire, la dite somme de cent francs. »
Est-il besoin de rappeler que ce Sieur Jean Louis Le Coz, conseiller municipal, avait été maire de la commune de septembre 1830 jusqu’en février 1838 (curieuse coïncidence…) et que c’est à son instigation qu’avaient été décidées les ventes des terrains communaux de l’île-Grande.
Passe encore de priver les île-Grandais de landes et de pâturages en faisant brader, par la Municipalité, les terrains communaux pour pouvoir se les offrir à vil prix, mais vendre, même en partie, des terrains de la commune à son propre profit… curieuse façon de concevoir l’administration des biens publics !
Un demi-siècle plus tard…
Le problème n’était toujours pas résolu lorsque M. de Champagny, qui se présentait à l’élection du Maire depuis 1871 et ne recueillait que sa propre voix
fut enfin élu le 15 avril 1888
et réélu le 15 mai 1892 puis le 17 mai 1896,
quelques jours après l’arrivée dans notre île du romancier Joseph Conrad qui utilisa les observations qu’il put faire au cours de son séjour dans les nouvelles qu’il écrivit à cette époque.
S’inspirant d’un drame familial local, Joseph Conrad écrivit en 1896 « The idiots » dont il situa l’action dans un village nommé « Ploumar » (le nom est à peine déformé !) administré par le « Marquis de Chevanes ».
Or, l’auteur n’ayant pas précisé que « toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait pure coïncidence », nous pouvons nous demander qui a pu lui servir de modèle pour camper le personnage de ce marquis.
La réponse se trouve peut-être dans ce passage :
« The « Chavanes » returning that evening, after seeing their guest to the main gate of the park, discussed the matter vhile they strolled in the moonlight, trailing their long shadows up the straigth avenue of chestnuts. »
Ce soir-là, après avoir reconduit leur invité (le recteur) jusqu’à la grille du parc, les « Chavanes » discutèrent de cette affaire en s’en revenant tout doucement chez eux au clair de lune traînant leur ombre longue dans l’allée droite bordée de châtaigniers.
Plus intéressant est ce renseignement que nous livre Conrad :
The marquis, a royalist of course, had been Mayor of the commune which includes Ploumar, the scattered hamlets of the coast, and the stony islands that fringe the yellow flatness of the sands.
He had felt his position insecure, for there was a strong republican element in that part of the country. »
Le marquis, royaliste bien entendu, était Maire de la commune qui englobe Plomar, les hameaux dispersés sur la côte et les îles rocheuses que bordent les plages de sable plates et jaunes.
Il sentait que sa position était peu sûre car il y avait un solide élément républicain dans cette partie du pays.
Conrad semble avoir très bien senti l’opposition qui existait alors entre le Conseil Municipal royaliste de Pleumeur et les île-Grandais en majorité républicains.
Cette appréciation du romancier se trouva confirmée par les évènements puisque deux ans plus tard, en 1898, les île-Grandais se virent contraints de passer par-dessus ce conseil pour s’adresser directement à l’échelon supérieur.
1898
Pétition des île-grandais
en raison de ce qui ressemble fort à une basse vengeance électorale
PÉTITION DES HABITANTS DE L’ÎLE-GRANDE À MONSIEUR LE SOUS-PRÉFET DE LANNION
« Monsieur le Sous-Préfet,
Les soussignés habitants de l’île-Grande, commune de Pleumeur-Bodou, ont l’honneur de vous présenter la requête suivante :
Considérant
Que l’eau potable étant excessivement rare dans notre île,
- Qu’à la suite d’une vengeance électorale, Monsieur de Roquefeuil a fermé un des rares puits lui appartenant,
- Qu’auparavant, une bonne moitié de l’île prenait de l’eau dans ce puits,
- Qu’à présent il ne reste pour ces personnes qu’une fontaine infecte et insuffisante,
- Qu’il y va de la salubrité publique,
- Que ces personnes ne demandent qu’à payer l’eau dont elles ont une absolue nécessité
- Et que C’EST UNE PEU FORT QUE POUR AVOIR PRESQUE LIBREMENT MANIFESTÉ PAR NOS BULLETINS DE VOTE NOS OPINIONS RÉPUBLICAINES, toute une population soit privée d’eau, première condition de toute vie
Émettons le vœu qu’un puits nous soit creusé dans le plus bref délai possible ou que Monsieur de Roquefeuil soit mis en demeure, pour cause de nécessité publique, de rouvrir celui qu’il a fermé le 3 août dernier.
Dans le cas du creusement d’un puits communal, la plupart des gens veulent bien participer aux frais dans la mesure de leurs moyens.
Dans l’espoir que vous voudrez bien accueillir favorablement notre requête et y faire droit, nous avons l’honneur, Monsieur le Sous-Préfet, de vous prier d’agréer l’hommage respectueux de nos meilleurs sentiments reconnaissants et dévoués.
Suivent les signatures »
Ainsi se trouve creusé , dès la première moitié du XIXe siècle (entre le Conseil municipal de Pleumeur-Bodou et les île-grandais) un fossé qui ne cesse de s’élargir avec le temps .
D’autant que les activités artisanales et commerciales île-grandaises étaient profondément différentes des intérêts essentiellement agricoles des pleumeurois.
Ainsi, à la fin de ce XIXe siècle, sous la IIIe République, dépouillés des terrains communaux qui leur avaient été donnés par la Révolution (mais administrés par la noblesse aidée du clergé),
les île-grandais n’avaient même plus le droit, sous peine de sanctions, « d’exprimer presque librement leurs opinions républicaines ».
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Merci Christine de te pencher sur l’histoire de l’Ile-Grande que l’on croit toujours connaitre. En fait il n’est est rien.
L’état d’esprit des habitants que l’on connait aujourd’hui est un long héritage du passé il me semble.
On parle souvent du caractère particulier des iliens en fait il n’en est rien d’après ce que j’en ai lu.
J’espère que tu recevras aussi d’autres commentaires pour ton travail de recherche qui a du te prendre pas mal de temps.
Amicalement,
La particularité des îles (enez-veuf compris) était qu autrefois les îliens étaient dévalorisées par rapport aux richesses des terriens.cela s est inversé désormais